Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Adèle, 42 ans, habitante de Royère de Vassivière, famille de deux enfants. Je suis bergère et feutrière, et investie dans plusieurs assos.
D'où venez-vous ? Quand et comment êtes-vous arrivé(e) ici, dans cette région ?
Je suis originaire de Lille, mais j’ai pas mal bougé à partir de 18 ans. Il y a 4 ans, mon conjoint et moi avons eu envie de nous poser. Sa famille est à Toulon, alors on a cherché quelque chose entre les deux, qui ne soit pas trop cher et qui nous plaise.
À quoi ressemble votre quotidien ?
Mon quotidien ? Je n’ai pas de quotidien moi !
Grosso modo c’est les enfants et la famille, le travail de bergère et de feutrière, et les associations.
Normalement j’ai 6 mois de contrat en tant que bergère, et ensuite je trouve des petits boulots à droite à gauche. Je n’ai rien de figé. Mais on est justement en train de travailler avec une association qui a pour objectif de promouvoir le pastoralisme sur la montagne limousine, et tout le PNR du plateau de Millevaches, pour améliorer les conditions de travail des berger(e)s, augmenter les surfaces ecopaturées, et assurer le salaire des berger(e)s.
Sur mes 6 mois de bergère, je travaille en majorité le matin et le soir, et selon les circonstances en journée s’il y a une brebis à soigner. Les six mois restants, je m’adapte en fonction de l’emploi du temps de mon conjoint pour qu’il y en ait toujours un des deux qui soit dispo pour les filles (7 et 9 ans).
À une époque on était tous les deux à temps plein, on n’avait plus de temps pour les filles, et on s’est dit “whoa, qu’est-ce qu’on fait là ? À quoi ça sert d’avoir des gamins si c’est pour pas les voir...”.
À une époque on était tous les deux à temps plein, on n’avait plus de temps pour les filles, et on s’est dit “whoa, qu’est-ce qu’on fait là ? À quoi ça sert d’avoir des gamins si c’est pour pas les voir...”. Pendant toute une période ça a été lui, puis moi, et là en ce moment c’est de nouveau lui qui est plus disponible pour les enfants.
On vit sur le Beverly Hills de Royère ! (rires), on a une vue sur le lac, le matin il y a les chevreuils dans le champ, c’est magnifique.
Je passe la plupart de mon temps dehors, pas nécessairement avec les brebis, j’adore aller marcher, mais je me déplace principalement en voiture. On reste assez dépendants...
Ne serait-ce que pour aller faire les courses.
Je me nourris en grande partie du jardin, de fromage et viande locale, mais le reste on l’achète en grande surface. Même si on a un petit budget, notre priorité serait d’acheter le maximum sur place. Mais il n’y a pas beaucoup de maraîchers dans le coin qui parviennent à assurer un approvisionnement de légumes sur l’année. Ils n’ont pas forcément la surface de stockage disponible, et bien sûr le climat joue aussi.
Même si on a un petit budget, notre priorité serait d’acheter le maximum sur place. Mais il n’y a pas beaucoup de maraîchers dans le coin qui parviennent à assurer un approvisionnement de légumes sur l’année.
Qu'aimez-vous dans votre lieu de vie ?
Les paysages, et l’investissement associatif.
On habite un village de 450 habitants, et c’est comme si on avait les avantages de la campagne, d’être tranquilles, et les avantages de la ville au niveau culturel. Et je dis culturel (expos, concerts, soirées débats, ciné), on a une super médiathèque à Royère, mais c’est aussi au niveau sportif.
Et c’est aussi tous les petits commerçants qu’on a. Avant je vivais en Haute-Savoie, on était dans un endroit beaucoup plus peuplé, et je devais faire plus de kilomètres qu’ici pour voir un médecin.
Il y a aussi vachement de solidarité. Tout le monde se connaît. Lorsqu’on est arrivés on a eu un super accueil. Et encore plus depuis le confinement où les plus jeunes se sont proposés d’aider les anciens.
Qu'aimez-vous dans votre département ou les autres endroits qui vous entourent ?
Ça me plaisait d’être en Creuse, car le nom est immédiatement associé à un endroit perdu !
Mais je suis beaucoup plus attachée à mon appartenance au plateau de Millevaches qu’au département en tant que tel.
Qu'aimez-vous dans votre région ?
Pareil. La Région Limousin me parle beaucoup plus que la Nouvelle-Aquitaine. C’est tellement étendu...
Venir s’ancrer quelque part c’est aussi apprendre à mettre un peu d’eau dans son vin.
Qu'est-ce qu'habiter ici vous permet (de faire, de vivre…) ?
Une qualité de vie, un environnement humain aussi. J’avais envie de m’investir dans un village, mais comme c’est un petit microcosme, tout l’enjeu est de parvenir à gérer les relations humaines sur le long terme. Venir s’ancrer quelque part c’est aussi apprendre à mettre un peu d’eau dans son vin.
Mais c’est aussi ce que j’apprécie la diversité des personnes. Ça me plaît d’habiter dans un village avec un mélange entre néo et ruraux. Si tout le monde pense comme moi ça ne m’intéresse pas !
Qu'est-ce qu'habiter ici vous empêche de faire ou de vivre ?
L’accessibilité. La route c’est fatiguant à la longue.
Après l’avantage c’est que comme on est au milieu, les copains qui prennent la route passent par là et s’arrêtent nous voir !
Aussi, dès qu’on veut voir un spécialiste médical, il faut aller loin. Même si en médical de base on est plutôt bien fournis.
L’autre problème c’est de trouver un logement. Il y a eu beaucoup d’achats de logements secondaires depuis le confinement. Est-ce qu’on ne pourrait pas faire quelque chose pour limiter ça ? Ça fait 3 ans qu’on est là, et on a mis 2 ans avant de trouver un logement en location. Beaucoup de gens choisissent de les garder vides pour pouvoir les louer aux vacanciers pendant la période estivale, au détriment des personnes qui veulent s’installer et habiter là à l’année.
Si vous aviez le pouvoir politique de changer une chose dans la région, quelle serait-elle ?
Une seule ? Allez deux.
Les transports. Il faut vraiment développer le train et les transports en commun.
L’autre chose à changer serait le financement des associations. On est passés des conventions pluriannuelles aux appels à projet qui sont renouvelés chaque année. Avec les appels à projet, les associations galèrent et n’ont plus aucune visibilité pour développer des projets, embaucher, etc. Les appels à projet mettent également de la concurrence entre les associations, ce qui fait qu’il y a beaucoup de petites associations qui ont mis la clé sous la porte.
Il serait aussi important de financer le développement d’activités locales pérennes, annuelles, qui font vivre les gens 365 jours sur 365.
Et puis une troisième, il faudrait favoriser l’achat de produits locaux à l’échelle des communes. Le prix n’est pas excessif, ça apporte du travail aux gens qui vivent sur la commune, et indirectement, ça fait vivre tout le territoire.
De même, la région a décidé de mettre beaucoup d’argent dans le tourisme autour de Vassivière, et c’est très bien, mais il serait aussi important de financer le développement d’activités locales pérennes, annuelles, qui font vivre les gens 365 jours sur 365.
Comme d’aider les maraichers à étendre leurs capacités de stockage pour pouvoir approvisionner les locaux, ou d’aider les communes à former leurs cuisiniers et à investir des cantines qui permettent de consommer local pour l’école, pour les maisons de retraite (à l’instar de certaines structures comme l’Atelier à Royères).
Comment voyez vous votre région dans 5 ans ? dans 10 ans ?
Au cœur des territoires.
Telle quelle la région Nouvelle-Aquitaine ne me parle pas. Les disparités entre les départements sont énormes. Par rapport aux anciennes régions, elle n’a pas du tout la même cohérence.
Selon vous, que faudrait-il préserver ?
Cet environnement-là. À tous les niveaux, mais surtout paysager, la qualité de l’eau, d’avoir accès à nos propres sources, qu’il n’y ait pas “trop” de produits chimiques utilisés.
Et dans ce demain que vous imaginez, de quoi avez vous besoin pour vous sentir vraiment bien ?
Un meilleur salaire ça ne serait pas de refus !
Après, c’est peut-être un peu égoïste, mais quand mes filles seront au lycée, elles n’auront pas d’autres choix que d’être en internat. Alors qu’on voudrait quand même les garder près de soi.
Après ceci dit moi j’ai été pensionnaire au lycée et j’étais trop contente (rires).