Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Alain, j’ai 59 ans, et je vis à Mazeimard, un petit village creusois où réside ma famille depuis plusieurs générations. Je vis avec ma femme Bernadette qui cultive et transforme des petits fruits et des plantes médicinales.
Je suis paysagiste concepteur, paysagiste conseil de l’État pour la DREAL PACA et paysagiste conseil du Réseau des Grands Sites de France. J’enseigne également à l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles. Je conseille aussi le Conservatoire du littoral qui acquiert des terrains en bord de mer pour les protéger et, parfois, les ouvrir au public.
D'où venez-vous ? Quand et comment êtes-vous arrivé(e) ici, dans cette région ?
Je suis né à Montluçon mais j’ai passé toutes mes vacances chez mes grands-parents en Creuse à Mazeimard. Il y a dix ans, j’ai opéré la bascule en transférant mon atelier de Guéret ici.
Je suis souvent parti pour des projets aux quatre coins de la France, ou mon enseignement en région parisienne. Mais c’est bien ici que se trouve mon camp de base. C’est une chance de pouvoir se poser dans de beaux endroits. La Creuse contient beaucoup de paysages profonds et variés.
Quel est votre plus beau souvenir ici ?
Je crois que mon plus beau souvenir ici est d’avoir passé l’andaineur (qui permet d’aligner le foin avant de le presser) quand j’avais douze ans. Normalement, le but est de tracer des lignes bien rectilignes, ce qui facilite ensuite le travail de la presse. Mais moi j’en avais profité pour faire un grand dessin. Ça n’avait rien eu de très pratique, mais c’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que l’on avait la possibilité de marquer son territoire, que l’on pouvait modeler les paysages en conjuguant technique et savoirs faire.
À quoi ressemble votre quotidien ?
Mon quotidien est assez différent selon l’endroit où je me trouve. Ici, la journée commence par un café en compagnie du chat, je vais voir ma maman, et travaille dans l’atelier. Les journées courent de 8h-20h, mais le temps passe vite. On vit également au rythme des gens qui passent nous voir à l’atelier.
Quand les chantiers sont dans la région, je pars à la journée. Mais je travaille également beaucoup en Corse ou en Bretagne, ce qui implique de partir pour plusieurs jours. Quand je suis sur un chantier, j’y suis absolument. Je ferme les écoutilles et coupe le téléphone pour être totalement présent. Mon travail c’est d’être avec les gens, sur le terrain, de les écouter. C’est la seule manière de faire « avec », voire « ensemble » à travers des chantiers participatifs.
Certains sites sont complètement brouillés, l’urbanisme a pris le pas, tout a été mâché, remâché. Il n’y a plus de terre sous nos pieds, on ne parvient plus à dire où l’on est.
Ici on sait où on est, il y a une force.
Qu'aimez-vous dans votre lieu de vie ?
De mon point de vue de paysagiste, que ça soit un village encore lisible. Mazeimard est une alvéole située dans une clairière. On sent encore les grands motifs du paysage, la ligne de la forêt, les fonds plus humides en bord de rivière.
Certains sites sont complètement brouillés, l’urbanisme a pris le pas, tout a été mâché, remâché. Il n’y a plus de terre sous nos pieds, on ne parvient plus à dire où l’on est. Ici on sait où on est, il y a une force.
D’un point de vue plus classique, on est un village qui s’entend très bien. Tout Mazeimard est en bio. Il y a une diversité de produits locaux (œufs, pommes de terre, confitures…) en lesquels on peut avoir confiance. Ça me donne le sentiment de vivre dans un lieu préservé.
D’ailleurs, l’activité de cueillette en pleine nature, comme le fait ma femme, a également changé ma manière de percevoir le paysage. Chaque arbre, chaque haie, chaque lisière a son intérêt. Bien sûr pour son intérêt naturel propre, mais aussi pour ce qu’il peut nous apporter, sans que nous ayons besoin de nous en occuper, de tailler, de fertiliser, etc… On se rend compte que tout n’est pas exploité ni amendé, et n’a pas à l’être !
Qu'aimez-vous dans votre département ou les autres endroits qui vous entourent ?
Encore une fois les paysages creusois et l’espace dont on dispose !
Aussi, la dynamique collective de l’Arban, et la concertation pour faire de l’urbanisme rural.
La Nouvelle-Aquitaine possède évidemment de nombreux atouts environnementaux et paysagers. Mais le découpage de la région est absurde. Un département comme la Creuse n’a rien à voir avec un département comme le Pays basque.
Qu'aimez-vous dans votre région ?
Avec mon travail j’ai l’occasion de me déplacer énormément dans la région, notamment en Charente-Maritime et dans les environs de Bordeaux. La Nouvelle-Aquitaine possède évidemment de nombreux atouts environnementaux et paysagers. Mais le découpage de la région est absurde. Un département comme la Creuse n’a rien à voir avec un département comme le Pays basque.
Je pense qu’il y aurait eu un vrai sens à créer une région « massif central », qui partage une certaine histoire, une culture et des conditions météorologiques communes.
Quels sont les endroits, situations, moments où vous vous sentez le mieux dans votre quotidien ?
Ici-même !
À l’inverse, quels sont les endroits, ou situations, où vous ne vous sentez pas bien ?
Comme je le disais plus haut, la ville me donne souvent une impression de déséquilibre, de paysage contraint, torturé.
À Guéret, par exemple, la construction d’une zone d’activités a donné lieu à la destruction d’un bocage. On a arraché une haie, détruit toute la cohésion du sol et les corridors écologiques, pour replanter une lignée d’arbustes qui vont très certainement crever sur pied, alors qu’une haie forte, pleine de biodiversité était là. Ça n’a pas de sens de faire les choses ainsi.
Aujourd’hui, on ne peut plus penser un projet de paysage sans penser la transition écologique. L’un enrichit l’autre et donnent lieu à des réalisations positives, joyeuses, artistiques et profondément belles !
D’ailleurs j’en profite pour parler du collectif PAP, Paysage Après Pétrole, qui rassemble une soixantaine d’experts à l’échelle nationale. La question posée : « comment la démarche paysagère peut servir la dimension écologique ? » a conduit à la rédaction de 4 principes à respecter autant que faire se peut :
- Regarder le lieu avant de modifier quoique ce soit : le site avant tout
- Faire « avec » les gens.
- Réaliser des ouvrages multifonctionnels, c’est-à-dire qui servent plusieurs usages écologiques ou sociaux.
- Chercher l’harmonie et la beauté.
Et de fait aujourd’hui, on ne peut plus penser un projet de paysage sans penser la transition écologique. L’un enrichit l’autre et donnent lieu à des réalisations positives, joyeuses, artistiques et profondément belles !
Qu'est-ce qu'habiter ici vous permet (de faire, de vivre…) ?
Principalement d’être dans l’équilibre. De revenir me poser régulièrement à Mazeimard est très important pour moi. Je ne pourrais pas habiter ailleurs. Je ne serais pas chez moi. Je ressens un enracinement profond à ce lieu.
Quand je regarde le mur de granit en face de moi, ou que je pense aux murs de pierres sèches que l’on monte durant l’été, je me sens profondément chez moi. C’est une relation particulière. Je ne pourrais pas vivre dans les régions de pierre calcaire !
Qu'est-ce qu'habiter ici vous empêche de faire ou de vivre ?
Peut-être un certain éloignement par rapport à la vie culturelle, aux spectacles vivants. L’offre est loin d’être inexistante ! Il y a la scène nationale à Aubusson. Mais ça implique encore de prendre la voiture, et comme je passe déjà beaucoup de temps sur la route dans mon travail, je peux ressentir une forme de paresse.
La seule insatisfaction à vivre ici, c’est la dépendance à la voiture. Le covoiturage est encore compliqué à organiser, le réseau de bus est mal adapté, et le réseau ferroviaire est catastrophique en Creuse…
Si vous aviez le pouvoir politique de changer une chose dans la région, quelle serait-elle ?
Transformer l’agriculture : tous au bio.
D’abord pour les agriculteurs, qu’ils vivent mieux. Ensuite pour la terre, qui ne doit pas seulement être un sol support duquel on récolte seulement les intrants qu’on y met. Et enfin pour notre alimentation à tous. On a besoin de retisser des liens avec notre pays à travers le développement des circuits courts et le retour à de petites exploitations. L’ennemi, c’est l’agro-industrie.
La question est bien sûr étendue à la forêt, dont la gestion s’industrialise de plus en plus. Nous devons assurer des prélèvements pérennes, et non des coupes à blanc toutes les X années, dévastatrices pour la terre et la biodiversité.
On a besoin de retisser des liens avec notre pays à travers le développement des circuits courts et le retour à de petites exploitations.
Comment voyez vous votre région dans 5 ans ? dans 10 ans ?
Tout dépend qui emportera la région !
Il y a véritablement urgence : il faut plus de bio, plus de forêts durables, moins de métropolisation pour revitaliser les zones rurales. Chez les autres partis, l’écologie passe toujours après d’autres considérations, elle n’est pas assez profonde.
Alors qu’il faut penser le rural comme une entité en soi et non plus comme la simple extension de la ville.
C’est une autre question mais elle est liée. Dans le calcul du nombre de conseillers régionaux attribués à chaque département, seule la démographie compte. Il y a de fait une surreprésentation des villes au détriment des territoires. La Creuse dispose ainsi de 4 conseillers sur un total de 183. 4 conseillers !
Selon vous, que faudrait-il préserver ?
Pour moi on doit redonner du pouvoir aux communes et aux territoires. Les communautés de communes, tout comme les régions, ont grossi et perdu le lien avec le territoire. Des économies sont faites, sûrement, mais quel est l’impact de cette concentration ?
Il ne faut plus penser les réseaux en termes d’étoile avec un centre qui rayonne, mais en termes de trames.
Au lieu d’avoir des LGV (lignes à grande vitesse) ou des autoroutes qui créent du vide entre deux stations, on devrait privilégier des voies rapides permettant de desservir l’ensemble du territoire.
De même, on doit absolument maintenir et développer les financements aux associations !
Les chantiers collectifs que je conduis sont très importants pour resserrer les liens entre les habitants, [...] recréer de l’attachement, de l‘ancrage au territoire. À la fin du chantier, et pour le restant de ses jours, chacun peut se dire « j’ai planté cet arbre », « j’ai monté ce mur de pierre » : quelle fierté !
Et dans ce demain que vous imaginez, de quoi avez vous besoin pour vous sentir vraiment bien ?
Je vais parler de quelque chose que je connais et qui est en lien avec le travail des associations, c’est le « faire ensemble ».
Les chantiers collectifs que je conduis dans certains projets sont très importants pour resserrer les liens entre les habitants d’un territoire. On ne sépare pas les deux activités : penser et faire. On pense le projet et on le réalise ensemble.
Ça permet non seulement de tisser des liens, mais aussi de recréer de l’attachement, de l‘ancrage au territoire. À la fin du chantier, et pour le restant de ses jours, chacun peut se dire « J’ai planté cet arbre », « j’ai monté ce mur de pierre » : quelle fierté !