Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m'appelle Arthur, je suis coursier à vélo depuis 4 ans. J'ai commencé à travailler dans ce métier pour des plateformes comme Uber, Deliveroo, et avec des collègues on a décidé d'abord de monter un syndicat. Par la suite, avec d'autres collègues, on a monté une coopérative de livraisons à vélos qui s'appelle Coursiers Bordelais.
Je suis toujours au syndicat des Coursiers à vélos de la Gironde. On est une dizaine, ça tourne. A la création, on était une dizaine aussi et il n'y a que moi qui suis resté : tous les autres sont partis faire autre chose. En général, quand les gens trouvent une solution meilleure que travailler pour Uber, ils s'en vont, donc il y a un turn-over assez important. Aujourd'hui, ce ne sont quasiment que les personnes les plus précaires qui travaillent pour ces plateformes.
On est très satisfaits de ce fonctionnement coopératif, d'être tous au même niveau. Ça nous permet de prendre des décisions qu'un patron ne prendrait pas
D'où venez-vous ? Quand et comment êtes-vous arrivé(e) ici, dans cette région ?
J'habite la rue de Bègles, à Bordeaux même, au centre, vers les Capucins. Je vis avec ma compagne dans un appartement qu'on loue depuis quatre ans. Maintenant qu'on a des contrats stables, on a cherché pour être propriétaire, mais, à Bordeaux, c'est mort pour des gens comme nous.
À l'origine, je viens de Poitiers. J'ai fini mes études à Paris et je suis arrivé à Bordeaux pour chercher du travail. Je ne voulais pas rester à Paris, j'en pouvais plus. Paris, ça doit être marrant quand tu gagnes de l'oseille, et encore... Ça faisait déjà deux ans et demi que je traînais de canapé en canapé. J'avais fait un master de gestion de projet humanitaire, à Créteil. Je savais qu'à Poitiers je n'allais pas trouver de travail dans mon domaine. A Bordeaux, j'ai vu une chance mais ça n'a pas marché... J'ai fini à Deliveroo.
À quoi ressemble votre quotidien ?
Soit je pédale, soit je suis sur mon PC pour gérer un peu la boîte.
Je suis aussi à mi-temps à la CGT depuis un mois, pour essayer de développer un peu plus le syndicalisme chez les coursiers à vélo. Le but, c'est de développer les syndicats un peu partout dans toutes les villes. Donc maintenant je me déplace pas mal aussi. Pas mal à Paris, prochainement à Limoges, ensuite ça va être Marseille, un peu Poitiers...
C'est facile d'aller d'un endroit à l'autre, de vivre dans cette proximité de tout. Profiter de la ville, de la vie, des sorties, des bars.
Côté Coursiers Bordelais, on va être 4 sur les 6 à devenir coopérateurs. Cette organisation du travail, c'est vraiment un truc que j'aimerais garder le reste de ma vie, quel que soit le projet. On ne cherche pas à grandir au plus vite parce qu'on sait que ça va rendre difficile la gestion de l'entreprise qu'on a aujourd’hui et qui est complètement horizontale.
Pendant une semaine, c'est toi qui gères la boîte sur le PC, tu fais la compta, tu fais tout. On sait tous tout faire, et quand quelqu'un rentre, on le forme sur tous les outils de gestion. Tous les mardis, on a une réunion pour décider, voter, sur tout ce qui se passe. Ça marche super bien : on est très satisfaits de ce fonctionnement, d'être tous au même niveau. Ça nous permet de prendre des décisions qu'un patron ne prendrait pas. Par exemple, se donner 8 semaines de vacances, recruter quelqu'un... Parce qu'on se nourrit, nous et pas quelqu'un qui serait à l'extérieur du projet, qui ne serait pas coursier, ça rend plus facile ce genre de décision de confort. D'ailleurs, dans nos statuts, on a mis une phrase du genre : "La société est au service du confort de ses salariés et si elle ne peut plus y subvenir, elle n'a plus d'intérêt". Ça n'a aucune valeur, c'est pour le style !
Mais on sait que si, faire tourner la boîte nous demandait trop, devenait négatif sur notre vie en terme d'équilibre, on n'aurait aucun problème à se faire couler.
Qu'aimez-vous dans votre lieu de vie ?
L'échelle. Le fait qu'à vélo, je puisse tout faire et ultra rapidement. C'est sympa Bordeaux, c'est assez grand pour qu'il y ait plein de choses et assez petit pour que tout soit accessible à vélo. C'est un vrai confort. Et le fait que tu ais envie de te déplacer et de faire des trucs aussi. Il y a vraiment plein de restos qui ouvrent et qui ferment tout le temps, et j'adore dépenser mon argent dans les restos ! Il y a aussi plein de bars sympas et l’activité culturelle qui me suffit. Paris, on dit toujours qu'il y a tous les plus grands théâtres, tous les plus grands musées... En fait, je me rendais compte que je n'avais jamais le temps d'y aller. Ici, c'est plus à mon rythme.
Qu'aimez-vous dans votre département ou les autres endroits qui vous entourent ?
La plage n'est pas loin. Le gros point fort aussi, c'est d'être à un peu plus d'une heure de Poitiers en train, deux heures de Paris. Les déplacements sont vraiment faciles.
Ce n'est pas normal de galérer, de bosser à plein temps et de ne pas pouvoir être propriétaire, d'avoir du mal à joindre les deux bouts.
Quels sont les endroits, situations, moments où vous vous sentez le mieux dans votre quotidien ?
J'aime bien cette réunion du mardi avec les collègues, quand tout se passe bien - et en général c'est ça. On se gausse, on boit nos bières en faisant notre réunion et on est content de ce qu'on a fait.
Et après, la débauche, le wee-kend, aller dans les restos avec ma copine. Boire et manger, encore...C'est assez redondant !
À l’inverse, quels sont les endroits, ou situations, où vous ne vous sentez pas bien ?
Je fais pas mal de manifs - celles avec les coursiers, les générales, les marches pour le climat qui marchent vraiment bien à Bordeaux. Et il y a eu celles des Gilets Jaunes, pendant pas mal de mois. Ça se passait bien, enfin, ça dépend des points de vue... Mais il y avait une envie, de la motivation et à Bordeaux, c'était très suivi. Mais il y a eu des violences [policières] qui étaient un vrai problème. La première fois que j'y suis allé, on m'a tiré dessus avec un flashball. Et on a visé la tête ! Je marchais, on était en plein jour... C'était surréaliste !
Qu'est-ce qu'habiter ici vous permet (de faire, de vivre…) ?
D'aller très facilement d'un endroit à l'autre, de vivre dans cette proximité de tout. Profiter de la ville, de la vie, des sorties, des bars.
Les gens ont besoin de pouvoir vivre, habiter, là où ils travaillent.
Qu'est-ce qu'habiter ici vous empêche de faire ou de vivre ?
D'avoir mon jardin, plus d'espace. D'être propriétaires ! Moi, acheter un appart qui fasse 25m2 sans fenêtre - parce que c'est ça notre budget sur Bordeaux - ça ne m'intéresse pas. On en a un peu marre de lâcher de l'argent à un propriétaire, qui ne veut pas changer de chauffe-eau, etc.
On est plein à être comme ça : dans tous mes potes de la trentaine, soit il y a ceux qui ont mieux réussi et qui commencent à acheter ici, soit ceux qui galèrent, qui sont locataires et vont le rester longtemps, à moins de chercher à acheter ailleurs.
C'est un problème : pas que les gens veuillent s'écarter, mais qu'ils doivent de plus en plus le faire.
Si vous aviez le pouvoir politique de changer une chose dans la région, quelle serait-elle ?
L'accueil des migrants, clairement. Il y a de nombreux espaces vacants. La Région, la Ville pourraient facilement mettre à disposition tous ces bâtiments vides qu'elles possèdent et qui ne servent à rien. Mais il y a cette espèce de peur de créer un appel d'air, comme si on allait se faire envahir de migrants si on commence à ouvrir ces portes...
Selon vous, que faudrait-il préserver ?
Les terres agricoles, probablement. Arrêter l'artificialisation des sols. Ma copine est bénévole chez Terres de Liens, un mouvement qui cherche notamment à faciliter l’accès au foncier agricole pour les paysans. Du coup, on parle beaucoup de ces choses-là.
Et dans ce demain que vous imaginez, de quoi avez vous besoin pour vous sentir vraiment bien ?
Les gens ont besoin de pouvoir vivre, habiter, là où ils travaillent. Ce n'est pas normal de galérer, de bosser à plein temps et de ne pas pouvoir être propriétaire, d'avoir du mal à joindre les deux bouts… Avoir un temps plein, c'est censé te permettre de vivre décemment et au même endroit. C'est bien d'attirer des gens sur leur territoire mais il faut aussi de leur permettre de vivre bien sur ce même territoire.