Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Frédéric, j’ai 56 ans. J’habite dans la commune de Saint-Aubin, en Chalosse, depuis plus d’une douzaine d’années. Je suis issu de grandes entreprises, telles que « Veolia » ou « Lyonnaise des eaux », qui m’ont appris un métier qui est celui du traitement des déchets et la gestion de l’eau. J’ai assez vite renoncé à cette activité de commerçant qui allait vendre du service pour enrichir des actionnaires. Au-delà de ma mission, qui était le contrôle du respect des cahiers des charges, c’était de faire du chiffre au détriment de la qualité de service.
Par la force des choses, je suis devenu une espèce d’expert et j’ai fait un certain nombre de missions dans les pays africains pour exporter le « savoir-faire » français en matière de collecte des déchets et de traitement d’eau.
Rapidement, j’ai été confronté à deux réalités. La première, c’est la capacité du monde occidental à exploiter ces pays pour son « bien-être » et son confort. Il faut reconnaître que pour notre confort, nous exploitons la misère des autres. Le deuxième constat, c’est que ces pays souffrent des dérèglements climatiques depuis bien longtemps et à une échelle importante qui a pour conséquences que la nature ne peut plus nourrir les hommes. Les politiques libérales que nous avons mis en place font que les paysans ont abandonné leur terre pour cultiver les haricots verts dont nous avons besoin.
J'ai été confronté à deux réalités. La première, c’est la capacité du monde occidental à exploiter les pays [africains] pour son « bien-être » et son confort. [La deuxième], c’est que ces pays souffrent des dérèglements climatiques depuis bien longtemps et à une échelle importante.
De par ces expériences, le dérèglement climatique m’a sauté aux yeux et cela m’a semblé le seul «cheval de bataille» auquel je devais m’atteler. Aujourd’hui, c’est le terrain d’expression de mon activité professionnelle sur les pays émergents. J’interviens régulièrement à Madagascar ou dans l’Océan Indien ou en Inde, pour aider au travers d’ONG un certain nombre de paysans à trouver principalement des solutions au dérèglement du cycle de l’eau.
D'où venez-vous ? Quand et comment êtes-vous arrivé(e) ici, dans cette région ?
Je suis un fils de médecin militaire, donc j’ai grandi en villes de garnison. J'ai eu une longue période parisienne dans mes activités professionnelles. J’ai travaillé dans une grosse quinzaine de pays africains et vécu dans 7 pays africains, sur des périodes de six mois à un an.
Depuis une douzaine d'années, j'ai découvert le territoire landais. Notamment, la Chalosse. Ce qui m’a permis de gratouiller la terre, de faire vivre un potager, d’aller manger les fruits de mon jardin et d’avoir envie de tendre vers une certaine autonomie alimentaire.
Lorsque je suis parti en Afrique, du haut de mes vingt ans, je croyais être détenteur d’un certain savoir, ça faisait partie de ma culture. Mes grands-parents et arrières grands-parents étaient des colons qui autour de la table familiale me racontaient les bienfaits de la colonisation. La grandeur de la civilisation occidentale. Et, lorsque je suis parti pour la première fois vivre en Afrique, très vite j’ai rencontré des gens fabuleux qui ont eu la capacité de m’éclairer et de m’apporter diverses visions du monde.
Lorsque je suis parti pour la première fois vivre en Afrique, très vite j’ai rencontré des gens fabuleux qui ont eu la capacité de m’éclairer et de m’apporter diverses visions du monde.
Quel est votre plus beau souvenir ici ?
Il y a mille beaux souvenirs de ma vie. D’abord, j’ai élevé ma famille dans les Landes et ça a été un grand plaisir de pouvoir les faire vivre à la campagne. J’ai trois enfants et contribué à une famille recomposée avec six enfants (de 15 à 33 ans) et il en reste deux à la maison.
À quoi ressemble votre quotidien ?
Nous vivons dans une ferme restaurée, au milieu de la nature entourés de forêts, avec trois chiens et quatre chats dans un jardin assez grand pour tout le monde. J’ai été touché par cet accueil chaleureux de ce territoire de Chalosse, je la considère un peu comme une terre d’accueil. Le voisinage a été confiant, accueillant, généreux dans sa façon de se présenter. Une petite révolution pour le parisien assez individualiste qui vivait sans connaître ses voisins, de se retrouver dans un milieu où le monde associatif tient une si grande importance. J’aime mon quartier de la boucle de Malbate. On est en dehors du bourg, dans un secteur assez boisé où l’on a la chance de voir passer toute sorte d’animaux dans les champs. Je suis assez triste de constater la dégradation de notre environnement avec moins d’hirondelles, des arbres qui meurent à cause du dérèglement climatique et suis triste du manque de prise de conscience de l’ensemble de mon voisinage vis-à-vis de ces problématiques environnementales.
Je suis assez triste de constater la dégradation de notre environnement avec moins d’hirondelles, des arbres qui meurent à cause du dérèglement climatique et suis triste du manque de prise de conscience...
Aux dernières élections municipales, sous mon impulsion, nous avons monté une petite liste afin de concurrencer la vieille garde de générations qui ont administré la commune de Saint-Aubin. Cela a été un électrochoc au sein du village et nous avons pu mettre en place une équipe qui a une approche plus environnementale dans sa gestion municipale et une autre politique de gouvernance. Cela a été un élément fort dans ma vie au sein du village. Autre élément clé de l’accueil de la population à la diversité, dans la période de Covid, l’équipe a initié différentes actions comme l’organisation de distribution aux personnes âgées de paniers de producteurs locaux, pour leur éviter de se déplacer et de se nourrir de produits de qualité. Cette expérience dure toujours et nous avons en moyenne cinquante à soixante-dix commandes par semaine. Nous avons créé un potager géant qui a pour objectif de fournir de la nourriture aux plus défavorisés du village et en même temps initier les habitants à la permaculture et créer du lien. On voit la convivialité qui y règne, et dans ce village de 540 habitants, 60 y sont adhérents et bénévoles.
La création fait également parti de mon univers, je pense que s’il a quelque chose à sauver dans le monde, c’est sa part belle : bien entendu, l’art et la culture font parti des incontournables de ce qui caractérisent l’humanité et qu’il est important de protéger.
Je travaille aussi auprès d’ONG, comme dit précédemment, et donne un certain nombre de conférences autour des conséquences du dérèglement climatique sur nos sociétés humaines.
Il me semble important, dans le cadre d'éducation populaire de partager un certain nombre de points de vues pour sensibiliser les citoyens aux grands enjeux du monde de demain… voire du monde d’aujourd’hui.
Je pense que s’il a quelque chose à sauver dans le monde, c’est sa part belle : bien entendu, l’art et la culture font parti des incontournables de ce qui caractérisent l’humanité et qu’il est important de protéger.
Qu'aimez-vous dans votre lieu de vie ?
Un certain nombre de personnes font parties de notre cercle d’amis, de mes intimes. C’est surtout le milieu artistique, dans lequel je me retrouve en dehors de mon activité professionnelle et associative. Mais, au-delà de ça, ce territoire a aujourd’hui l’ouverture d’esprit nécessaire pour la mise en place d’une expérimentation autour de la transition écologique. Le partage de ces convictions que j’exprime depuis 18 mois, commence à raisonner avec les esprits qui s’ouvrent vers d’autres développements possibles.
Qu'aimez-vous dans votre département ou les autres endroits qui vous entourent ?
Je n’ai pas une vision très positive de notre territoire landais. J’ai envie de dire que nos villes n’ont pas de raison d’être. Par exemple, une ville comme Dax vit autour du thermalisme. Et, que si le thermalisme n’était plus subventionné comme il l’est actuellement, l’économie de la ville s’effondrerait. Est-ce qu’il faut financer le thermalisme qui est financé par les deniers publics ? Je ne sais pas… Je n’ai pas la réponse. L’autonomie de cette implantation ne peut exister que grâce à des financements publics et quelque part, ça me heurte. Dans ma compréhension du monde de demain où les restrictions budgétaires vont être de plus en plus importantes, je crains que l’économie de la ville en soit très affectée.
Qu'aimez-vous dans votre région ?
J’adore le Béarn, j’aime les paysages vallonnés, j’aime quand la terre est un peu grasse et riche, quand l’eau coule en cascade… en définitive, j’ai tellement vécu dans des pays où le soleil grille tout, que les territoires vallonnés et verdoyant m’interpellent.
Quels sont les endroits, situations, moments où vous vous sentez le mieux dans votre quotidien ?
Quand je suis chez moi, dans la nature et dans le jardin. Je me suis initié à la permaculture et essaye de nourrir ma famille. Avec ma compagne, nous avons planté plusieurs arbres fruitiers.
À l’inverse, quels sont les endroits, ou situations, où vous ne vous sentez pas bien ?
Pas particulièrement, car j’ai une capacité d’adaptation qui fait que ça va. Mais, lorsque je vais à Paris, je suis interpellé par la pauvreté qui se développe de plus en plus et par la violence urbaine. Ça me rend triste... Ça me rend triste.
Qu'est-ce qu'habiter ici vous permet (de faire, de vivre…) ?
J’essaye de donner du sens à ma vie en ayant une véritable action militante et politique autour de la lutte contre le dérèglement climatique ou de l’adaptation de nos sociétés.
Qu'est-ce qu'habiter ici vous empêche de faire ou de vivre ?
Rien, tout ce que j’ai envie de faire, je peux le faire. J’ai aussi la chance de pouvoir me déplacer régulièrement, aussi bien à Paris ou trois à quatre mois chaque année à l’étranger pour travailler ou m’impliquer.
Si vous aviez le pouvoir politique de changer une chose dans la région, quelle serait-elle ?
Une espèce d’approche systémique pour pouvoir réinstaller l’humain dans la nature. C'est-à-dire, arrêter cet espèce d’anthropomorphisme qui fait que l’on se considère au-dessus des lois de la nature et réapprendre chacun d’entre nous à se réapproprier cette part animale ( on va dire les choses comme ça ) pour se retrouver en synergie avec les éléments qui nous entourent.
Je soutiendrais une économie décarbonée, mais c’est extrêmement compliqué aujourd’hui à mettre en place. Tout notre système, tel que je le comprends, repose sur la croissance. S’il n’y a pas de croissance, sur l’emprunt, tel que nous le vivons. Il n’est pas possible de faire de la croissance sans un productivisme lié aux énergies fossiles. La priorité serait de mettre en place un système de production d’énergies alternatives à celles des fossiles, qui nous permettrait peut-être dans une production limitée de mettre en place un autre modèle économique. Il faut être vigilant sur le productivisme qui pourrait aller vers une économie partagée, mais qui ne remettrait pas en cause notre modèle de production.
Notre région a-t-elle la capacité de préserver le bien-être, le confort et l’adaptation de sa population à ces chocs brutaux auxquels on va être confrontés ?… Peut-être.
Comment voyez vous votre région dans 5 ans ? dans 10 ans ?
On aura, à mon sens, un pari majeur à gagner qui est loin d’être évident…à dix ans, notre climat se sera élevé de deux degrés par rapport à l’ère pré industrielle. Nous allons avoir entre 500 millions et un milliard trois cent millions d’habitants de la planète qui vont se retrouver dans une situation de survie au quotidien. Donc, nous allons être soumis à des flux migratoires majeurs. Un enjeu important… et est-ce que notre région à capacité à intervenir à cette échelle macro ?... Je ne crois pas.
Par contre, notre région a-t-elle la capacité de préserver le bien-être, le confort et l’adaptation de sa population à ces chocs brutaux auxquels on va être confrontés ?… Peut-être.
Cela passera par une politique plus volontariste, autour de sa capacité à produire son énergie, la capacité à préserver la qualité de son eau et la qualité de ses sols pour pouvoir produire la nourriture nécessaire pour le moins pour les habitants de la région et si possible davantage pour celles et ceux qui en auront besoin.
Selon vous, que faudrait-il préserver ?
La qualité des sols, des eaux et la solidarité ; car les mouvements migratoires vont être très importants. L’Espagne a de moins en moins d’eau. Barcelone a ouvert sa deuxième station de potabilisation d’eau de mer, il y a peu de temps. On sait que le Maghreb n’a plus d’eau… c’est terrible. Alors, on a 150 millions d’habitants qui vont être confrontés rapidement à des difficultés majeures. Cette population est jeune, elle va bouger obligatoirement et légitimement.
Et dans ce demain que vous imaginez, de quoi avez vous besoin pour vous sentir vraiment bien ?
A mon sens, solidarités et coopérations sont les éléments fondamentaux pour pouvoir unir les populations ; avec la préservation des ressources naturelles, tels que les sols et l’eau.