Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m'appelle Jacques, j'ai 65 ans. Je suis un ancien bûcheron : j'ai toujours vécu à l'extérieur, et j'ai vu évoluer le monde trop rapidement. Surtout dans les dernières décennies.
J'étais bûcheron élagueur. En forêt. J'avais commencé à l'atelier, j'ai fait un peu d'usine et puis un jour j'ai tout lâché, je suis parti avec ma tronçonneuse, roule ma poule. J'en avais marre de gagner du pognon et me faire chier.
Je suis natif de Saint-Léonard-de-Noblat et j'ai toujours habité dans le secteur, dans un secteur de 25 kilomètres... Et ce serait à recommencer, je n'irais pas habiter ailleurs.
D'où venez-vous ? Quand et comment êtes-vous arrivé(e) ici, dans cette région ?
Je vis à Saint-Pierre-Chérignat, à l'Usine de la Châtre, chez un ami qui m'a gentiment accueilli. Plus qu'un ami d'ailleurs... Je suis natif de Saint-Léonard-de-Noblat et j'ai toujours habité dans le secteur. Dans un rayon de 25 kilomètres autour de Saint-Léonard.
Et ce serait à recommencer, je n'irais pas habiter ailleurs.
Ici, dans cette maison, j'y suis depuis 6 ans et demi maintenant. Mais je suis arrivé sur la commune de Saint-Pierre en 87. Je suis resté là tout ce temps, en Creuse, dans ce secteur de la Creuse, et je n'ai pas bougé. Toujours. Ce secteur est vraiment particulier par rapport à tout autour. Là c'est vallonné, il y a la nature, il y a l'eau, c'est... la tranquillité qu'on ne trouve pas partout en Creuse !
Là nous sommes à la limite de la Haute-Vienne, c'est de l'autre côté du cours d'eau duTaurion ; à 50 kilomètres de Limoges, par la route, à 50 km de Guéret. On habite un petit peu loin de la ville pour faire les courses, mais ça c'est pas gênant. Du moins pour moi. Nous sommes surtout au milieu de la forêt...
Quel est votre plus beau souvenir ici ?
Mon plus beau souvenir, c'est lorsque pour mes douze ans, j'ai eu un vélo. Mon premier vélo à moi et je suis allé à la pêche, ici, avec mon père, pour la première fois. Parce qu'il y a 53 ans que je vais à la pêche ici.
À quoi ressemble votre quotidien ?
J'essaye de me balader en forêt encore, mais c'est pas facile. Je prends la béquille... Je marche encore tous les jours, parce que si je m'arrête, c'est fini ! C'est le fauteuil roulant et ça je refuse.
Je pêche, mais je ne pêche plus comme avant , les pieds dans la rivière ! je vais m'assoir aux turbines, je pêche comme les touristes, le cul sur la chaise... A la parisienne ! (rires)
Et puis ça ne mord plus, le poisson ne mord plus, il a changé ses mœurs...
Qu'aimez-vous dans votre lieu de vie ?
La nature, de l'eau, des arbres, tout – à part les sapins qui envahissent tout ici.
Mais oui, le plus important, c'est l'eau, toujours le bord de l'eau. La tranquillité. Tu sors le matin, t'as pas les mobylettes qui passent dans la cour, c'est vraiment agréable. LA liberté. J'ai eu de la chance de faire un boulot où j'étais indépendant, je n'avais pas trop d'horaires. Ce qui me permettait, des fois, le lundi, si je voulais, d'aller à la pêche, ou aux champignons... et ça c'est énorme, c'est tout le bonheur du monde.
En tout cas, la Creuse, quoi qu'on en dise, c'est vachement vivant.
Qu'aimez-vous dans votre département ou les autres endroits qui vous entourent ?
J'aime bien aussi quand il y a de l'ambiance, quand les jeunes viennent faire la fête. Je ne pensais pas que je serais comme ça à mon âge, mais je suis resté très jeune dans ma tête, j'aime bien quand ça bouge un petit peu. Je me voyais pas comme ça à la retraite ! Je pensais que je voyagerais, je n'ai jamais pris le temps quand je travaillais, je me disais que je ferais des voyages après... je regrette un peu. Mais c'est comme ça.
En tout cas, la Creuse, quoi qu'on en dise, c'est vachement vivant. Il y a un dynamisme, notamment chez les jeunes, et dans tous les arts... On n'en parle pas parce que ce n'est pas totalement accepté par les personnes plus âgées autour mais c'est vachement vivant. En Creuse tu regardes tous les jours, tu trouves, tu sais où aller, tu peux sortir. Plus à Guéret qu'à Limoges même ! Je parle de l'activité notamment musicale. C’est incroyable. Ça bouge beaucoup. J'en entends parler par le réseau de l'association [La Barak Studio, qui est hébergée sur le même terrain que lui], et tous les gens qui passent ; mais aussi, et puis internet. Le nombre d'associations qu'il y a là, et pour tout : comme les AMAP, les marchés gratuits, c'est incroyable.
Si vous aviez le pouvoir politique de changer une chose dans la région, quelle serait-elle ?
Il faudrait tout blanchir et repartir à zéro. Il faudrait tout refaire, il n'y a rien qui tourne comme il faut.
Les Gilets Jaunes, moi j'y croyais, et puis maintenant ce ne sont plus des gilets, ce sont des chiffons, complètement usés ! ça coule complètement. Pourtant je pensais que ça allait faire quelque chose, que ça allait taper du poing sur la table. Pour que ça avance. Il faudrait que ce soient les flics qui manifestent, qu'ils retournent leur blouson, quand ils se font emmerder par leur supérieur. Les flics ne sont pas tous mauvais, mais bon, ils ont signé...
Il y a un, deux ans, je disais, tu vas voir dans 20 ans... Et ce n'est pas dans vingt ans, ça va beaucoup, beaucoup plus vite que ce que je pensais.
Comment voyez vous votre région dans 5 ans ? dans 10 ans ?
Alors franchement... Il y a un, deux ans, je disais, tu vas voir dans 20 ans... Et ce n'est pas dans vingt ans, ça va beaucoup, beaucoup plus vite que ce que je pensais, c'est mal parti.
L'agriculture a tout détruit, a fait de gros dégâts, je ne parle pas seulement d'insecticides et pesticides. Les paysans, avec les tracteurs, les clôtures électriques, ont fait de gros dégâts aussi. Parce qu'avant on nettoyait les bords des rivières et les animaux traversaient à gué, à un endroit. Alors que maintenant ça passe partout, ça défonce tout, les berges s'écroulent, ça fait de la vase, ça étouffe la flotte, plus d'oxygène. Faudrait nettoyer plus les rivières, il y aurait encore plus de poissons, là c'est plein d'enclaves, c'est tout bouché.
La forêt est en train de périr complètement, les arbres crèvent...
Selon vous, que faudrait-il préserver ?
Pour commencer, la nature. Parce qu'il y a tellement d'animaux qui ont disparu, d'autres qui arrivent. Ne serait-ce que les insectes. Il n'y a plus de moustiques ; donc il n'y a plus d'hirondelles. Plus de sauterelles. Il n'y a plus d'insectes comme il y avait avant. Avant, tu prenais ta voiture le soir, tu devais mettre tes essuies glace pour y voir quelque chose, tellement tu avais de trucs écrasés sur ton parebrise. Maintenant, tu roules toute l'année, tu n'as plus besoin de laver ton parebrise c'est sûr. Plus de serpent, plus rien, plus de hérisson, plus de petit gibier faisans, perdrix, lièvres. C'est fini. Et ça c'est la pollution, le réchauffement climatique aussi certainement. La forêt est en train de périr complètement, les arbres crèvent, avec la sécheresse, les insectes qu'il n'y avait pas avant... Tout ça amène des maladies que les arbres se refilent de l'un à l'autre ; la forêt est en piteux état.
Tous les résineux ont maintenant 60 ans, ils arrivent à date d'exploitation, on rase tout. Les paysages prennent un gros coup dans la gueule, mais c'est surtout le biotope qui va en souffrir.
En plus, l'exploitation forestière est à fond dans les résineux ; tous les résineux ont maintenant 60 ans, ils arrivent à date d'exploitation, on rase tout avec les machines. Les paysages prennent un gros coup dans la gueule, mais c'est surtout le biotope qui va en souffrir. Parce que toute la flotte, les précipitations, il n'y aura plus rien pour les retenir, ça va faire des crues, des ruissellements, des glissements… Les arbres ne pousseront plus comme avant, parce que sous les résineux rien ne repart facilement, les sols ont été acidifiés, donc ce seront les ronces et les genets qui vont prendre la place. Et là ça sera la catastrophe. Surtout ils ne replantent pas parce qu'il y a beaucoup d'endroits où ils ont plantés parce qu'ils ont eu des subventions pour. Mais sur les pentes du Taurion, les coins comme ça... Il n'y a rien à en tirer, plus rien.