Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Sébastien, je suis originaire de la région cognaçaise et j’y vis encore ainsi que toute ma famille après quelques passages dans quelques grandes villes. J’ai aujourd’hui 38 ans (il faudrait demander à mon fils pour être certain), j’habite juste à côté de Cognac. Très jeune, j’ai été initié au jardinage, à l’écologie. Je me suis rendu compte plus tard que cela n’était pas si ordinaire. Mon père était adhérent d’associations environnementales, chez Charente Nature et la LPO notamment. Tout cela a grandement joué sur ma sensibilité d’aujourd’hui.
J’ai fait quelques études scientifiques avortées, j’ai fait un petit tour dans le milieu du sport en étant éducateur sportif pendant cinq ans avant de comprendre que je souhaitais profondément créer mon entreprise, ce que j’ai fait en commençant par l’entretien de jardin avant de me diversifier sur la création de parc et jardin avec l’envie de faire des choses durables, originales et écologiques.
Très jeune, j’ai été initié au jardinage, à l’écologie. Je me suis rendu compte plus tard que cela n’était pas si ordinaire.
À l’arrivée de notre premier enfant, il y a une dizaine d’années, ma femme a souhaité se réorienter et nous avons décidé de créer une activité de maraîchage. Il y a 7 ans, nous avons finalement acheté cette ferme qui est à la fois notre lieu de travail et notre habitation. Je me suis également engagé dans différents mandats associatifs et militants, notamment dans le milieu de l’agriculture, mais pas uniquement.
D'où venez-vous ? Quand et comment êtes-vous arrivé(e) ici, dans cette région ?
Je ne suis pas parti très longtemps en fait, essentiellement pour mes études. J’ai coutume de dire que j’ai fait un BAC+3, mais trois fois la première année. J’ai été à Nantes et Poitiers. J’aime beaucoup les grandes villes. Cela enrichit, le milieu des petites villes n’est pas le quotidien de la majorité des Français et il est important d’avoir d’autres expériences.
Quel est votre plus beau souvenir ici ?
L’un des plus beaux moments pour sortir de la naissance des enfants, je dirais l’achat de la ferme. Il représente un aboutissement, une ferme charentaise comme je pouvais la rêver. C’est également un commencement puisque d’évidence, c’est au travers de cette acquisition que les problèmes commencent. Il faut rénover, tout faire à la fois. Un rêve que je ne croyais pas vraiment accessible.
L’idée c’est aussi de recréer un lieu de vie, un mini village. Le lieu était précédemment habité par une seule famille alors qu’aujourd’hui nous sommes une famille de quatre à en profiter plus quatre locataires, les salariés qui passent, des woofers, en fait c’est plus d’une dizaine de personnes différentes qui passent sur le lieu tous les jours. Un vrai lieu de vie.
C’est une chose importante pour moi que nos choix, notre mode de vie ne soient pas clivant pour les voisins. Être diplomate amène les gens à changer.
À quoi ressemble votre quotidien ?
Nous vivons dans une ferme isolée avec une âme et une histoire, déjà présente au XVIe siècle entre l’ancienne forêt royale de Jarnac et l’étang du Solencon qui s’étendait à l’époque jusqu’à Cognac. Il y a beaucoup de passage, mais avec un petit lieu pour chacun.
Des voisins proches il n’y en a quasiment pas. Par contre, il y a un petit village au sein duquel nous sommes bien intégrés, et ceci en raison de notre métier. Soit parce que les habitants viennent chercher des légumes à la ferme, soit parce que nous intervenons dans les jardins pour l’entretien. C’est une chose importante pour moi que nos choix, notre mode de vie ne soient pas clivant pour les voisins. Être diplomate amène les gens à changer.
Là où je passe le plus de temps c’est dans mon bureau, c’est du moins ce que ma femme répondrait immédiatement. J’ai de plus en plus de gestion à faire. Ce qui ne me dérange pas fondamentalement. Je garde toutefois un contact avec le terrain. J’aime aussi passer du temps dans la nature autour de la maison pas très loin. Je passe beaucoup de temps à marcher, le soir, voire la nuit. Et en réunion !!!
Je me déplace en voiture, beaucoup trop. Par contre, je refuse maintenant de me déplacer en avion. En fait pour être plus juste je refuse de me déplacer en avion allant jusqu’à demander que des lieux de vacances avec des amis soient changés. Nous nous questionnons beaucoup sur l’utilisation de la voiture, de tout ce métal que nous devons transporter avec nous à chaque fois. Je n’ai pas encore trouvé la solution. Nous nous questionnons. Pourrions-nous nous passer de voiture ou pour le moins en avoir une seule ? Essayer d’utiliser les transports en commun ? Il y a deux arrêts de bus à 1 km de la maison. Nous avons conclu que cela était trop compliqué.
Nous nous nourrissons avec ce que nous produisons et ce que produisent les collègues. 95% bio. Cela ne me dérange toutefois pas de ne pas manger bio à l’occasion. J’aime bien acheter de la viande chez mon boucher qui ne fait pas forcément du bio. Par contre, ma consommation de viande a drastiquement baissé. Je suis à moins de 30 grammes de viande par jour alors que j’aimais vraiment cela. Pas de compromis avec le plaisir ! Je parviens à manger moins de viande en prenant le temps de cuisiner. Je ne fais pas de plat végétarien en essayant de remplacer la viande par autre chose. Je dois maintenant être OK avec les recommandations environnementales.
Je suis par contre très heureux de ce que nous sommes parvenus à inculquer à nos enfants par le biais de l’alimentation. Ils goûtent de tout. Ils savent être critiques quand ils vont au restaurant. Ils n’ont jamais commandé de menu-enfants au restaurant. Ils ne vont pas au fast-food. Nous ne leur avons jamais interdit, nous les avons même incités à découvrir par eux-mêmes et ils se sont fait leur opinion propre. Il se trouve qu’ils n’ont pas aimé ! Prendre le temps de cuisiner est une chose importante pour nous.
J’ai des activités dans ma journée, certaines me rapportent des sous et d’autres pas. Je ne les distingue pas en tant que loisir ou travail. Il me semble que la vie était beaucoup comme cela autrefois.
Sur la notion, le mot de loisirs, j’ai une vision différente de l’acceptation sociale actuelle et de la compartimentation que nous propose aujourd’hui la société. Pas de séparation entre travail et loisirs. J’ai des activités dans ma journée, certaines me rapportent des sous et d’autres pas. Je ne les distingue pas en tant que loisir ou travail. Il est des choses que j’aime bien faire et d’autres moins. Je n’aime pas faire la lessive et cela ne rapporte pas d’argent, mais cela doit être fait. Il me semble que la vie était beaucoup comme cela autrefois. Un paysan était une personne qui vivait de la campagne et par la campagne. Il ne se posait pas forcément la question, quand je cultive du blé est-ce pour gagner des sous ou pour me nourrir ? Il faisait les choses pour qu’à la fin de l’année le bilan ne soit pas négatif économiquement. Malheureusement bien souvent le bilan était négatif ce qui est peut-être un peu moins le cas aujourd’hui. Le travail que je fais est à la fois un loisir et une tâche. Les discussions que je peux avoir les woofers qui viennent travailler m’informent que bien souvent ils se sentent coincés par le cadre que la société leur impose comme de contraindre les loisirs au week-end.
Qu'aimez-vous dans votre lieu de vie ?
Mon endroit préféré, je dirais que c’est l’arrière de la maison. Il y a une forêt et une mare avec des dizaines voire des milliers de grenouilles à certaines saisons. M’assoir et écouter le bruit incroyable qu’elles peuvent faire. Par moment, tu crois être à côté d’une piste de décollage. J’ai pour projet de faire une petite plateforme en bois, au milieu de la mare pour pouvoir s’assoir et juste écouter les grenouilles. En fait, cet endroit est mon deuxième endroit préféré, car un autre me vient juste à l’esprit. Construire des cabanes. Pour les enfants bien évidemment, c’est le prétexte que j’utilise depuis que j’ai des enfants.
Qu'aimez-vous dans votre département ou les autres endroits qui vous entourent ?
J’engloberais le Cognaçais plutôt que de parler de ma ville. Je crois que je l’aime tout simplement car j’y ai fait ma vie bien plus que pour le produit qui fait le renom de ce territoire.
Au niveau du département, je dirais les Charentes en faisant référence au fleuve qui nous définit. J’aime l’aspect ruralité avec une faible densité de population avec tout de même une identité qui est assez présente. Il manque à mon goût quelques montagnes. J’aime tout de même certains endroits assez vallonnés avec ruisseaux et forêts.
Qu'aimez-vous dans votre région ?
J’étais un peu sceptique au départ sur le sens de cette région. Elle en a un, car Bordeaux est un point d’attrait vraiment logique. C’est une région qui me parle même si je pense que pour les territoires limitrophes l’est ou le sud de la région par exemple, sont vraiment loin géographiquement.
Par contre du coup il y a tous les paysages, montagnes, forêts, mers et cela est une force. De la diversité.
Quels sont les endroits, ou situations, où vous ne vous sentez pas bien ?
Les endroits où je ne me sens pas bien il n’y en a pas beaucoup en fait... Ah si j’en ai un ! Les grandes surfaces ! Je ne peux plus aller dans ces endroits-là. Je trouve aberrant que nous ayons construit des endroits pareils où nous nous devons de dépenser un argent si durement gagné. Là où la consommation devrait être un plaisir, je n’y vois qu’un déplaisir. Nous nous sommes fait avoir !
À un moment donné je me suis dit que l’agriculture n’était qu’une petite partie du problème et que les transitions énergétiques et climatiques étaient peut-être plus importantes. Et puis finalement, j’y reviens, car elle a une place prépondérante pour ces deux questions.
Qu'est-ce qu'habiter ici vous permet (de faire, de vivre…) ?
Le Cognaçais est un territoire de défi notamment sur les questions de transitions. C’est un vrai défi de changer les choses ici. Avec en même temps un atout énorme que ce territoire a les moyens de mener à bien ces transitions. Et je ne parle pas que de moyens financiers. Et en plus s’il y parvient, son renom aiderait à porter ce qui a pu être fait.
La région semble vraiment trop grande pour que nous puissions croire pouvoir y changer quelque chose. Comment faire ? Qui atteindre ? Je me sens un peu loin de la direction de la région. En même temps, la taille de la région lui donne de la force et nous pouvons constater que des choses ont été menées à bien comme Néo Terra ou autres.
Si vous aviez le pouvoir politique de changer une chose dans la région, quelle serait-elle ?
C’est la question la plus compliquée sans doute. L’agriculture me touche beaucoup. Engager une transition de l’agriculture très forte est ma priorité. À un moment donné je me suis dit que l’agriculture n’était qu’une petite partie du problème et que les transitions énergétiques et climatiques étaient peut-être plus importantes. Et puis finalement, j’y reviens, car elle a une place prépondérante pour ces deux questions. De plus, je trouve très important d’engager une vraie transition agricole et notamment en renversant la chute radicale du nombre d’agriculteurs. Augmenter le nombre de fermes et le nombre de personnes qui exercent ce métier. Depuis tout temps, le nombre d’agriculteurs diminue partout, dans tous les pays. De plus, c’est un problème dont les gens se sentent loin, qu’ils soient urbains ou ruraux.
Je pense que la problématique de la croissance n’est pas la vraie question et que la mettre toujours en avant fausse notre réflexion.
Pour la transition énergétique, je ne suis pas certain que nous prenions les choses dans le bon sens. Je pense que la problématique de la croissance n’est pas la vraie question et que la mettre toujours en avant fausse notre réflexion. Il faut trouver une stabilité, un équilibre.
Comment voyez vous votre région dans 5 ans ? dans 10 ans ?
Je ne vois pas que le parcours imposé à la région comme vraiment différent de ceux qui contraignent le national ou l’Europe. Il existe un courant ou une direction assez générale. Je pense que nous aurons fait pas mal de choses, mais que malgré tout nous serons encore assez loin du compte. Pour le dire autrement, nous devrions avoir commencé à ne plus accélérer alors que le mur s’approche. Nous aurons certainement commencé à ralentir, mais nous ne pourrons pas éviter de prendre le mur. Je ne veux pas dire que tout est perdu et que tout le monde va mourir. Je pense plutôt que nous allons devoir affronter des épreuves auxquelles nous ne nous serons malheureusement pas préparés. Cela ne veut pas dire « effondrement », mais beaucoup de désagréments et surtout pour les plus pauvres. Dans 10 ans ce devrait être pareil. Un constat assez dramatique.
Je pense que nous aurons fait pas mal de choses, mais que malgré tout nous serons encore assez loin du compte. [...] Pourquoi les adultes ne parviennent-ils pas à s’emparer de ces sujets ? Les enfants ont moins d’inertie.
La situation sera forcément très difficile à gérer. Cela va être compliqué de dire aux gens de continuer à faire des efforts de plus en plus grands alors que d’une manière irrémédiable la situation ne va pouvoir qu’empirer. Ceci risque d’être encore pire pour la biodiversité que pour le climat. Nous sommes en train de travailler aujourd’hui pour nos enfants. Ceci est très important. Quand j’en parle avec mes enfants de manière très factuelle, ils sont très étonnés. Comment est-il possible que des choses évidentes pour eux, échappent aux adultes que nous sommes ? Pourquoi les adultes ne parviennent-ils pas à s’emparer de ces sujets ? Les enfants ont moins d’inertie.
Selon vous, que faudrait-il préserver ?
Il y a un vrai travail d’aménagement du territoire. Des grosses métropoles et des campagnes vides. Un environnement très peu résilient. Il faut améliorer le maillage des territoires en préservant les villes de taille moyenne. Notre région est un peu configurée de la sorte. Il faut travailler à l’attractivité des territoires. Il faut également rééquilibrer le rapport littoral atlantique et l’intérieur des terres.
J’ai besoin de sentir que la société va dans le bon sens et que nous allons parvenir à relever les défis majeurs ensemble. C’est pour cela que je m’engage. C’est assez compliqué de faire face au constat que malgré tous les efforts nous pourrions bien finir par échouer.
Et dans ce demain que vous imaginez, de quoi avez vous besoin pour vous sentir vraiment bien ?
Ce n’est pas mal comme question. J’ai besoin d’une bonne santé. La santé est ce que j’espère préserver tout en me disant que je ne maîtrise pas tout. Pour le reste, je me dis que je suis plus à même de contrôler…
J’ai besoin de sentir que la société va dans le bon sens et que nous allons parvenir à relever les défis majeurs ensemble. C’est pour cela que je m’engage. C’est assez compliqué de faire face au constat que malgré tous les efforts nous pourrions bien finir par échouer.
Pour que les autres se sentent bien, il nous faut des exemples locaux qui donneraient à espérer que tout reste possible. Je crois profondément à la valeur de l’exemple. Il faut que les personnes puissent se projeter. Un besoin d’exemplarité. Voir qu’il est possible par exemple de vivre dans une ville sans voiture. Des besoins proches et différents, adaptés à la région.