Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Thierry, j’ai 56 ans et je suis un paysan vagabond. Enfin non, plutôt migrateur (rires). Je vis maintenant à Maisonnisses (23). C’est ma troisième installation fermière, en vaches laitières bio.
L’objectif est d’avoir une ferme la plus autonome possible. On va viser l’autosuffisance des vaches à 98%.
D'où venez-vous ? Quand et comment êtes-vous arrivé(e) ici, dans cette région ?
Je suis né dans l’Yonne, sur la ferme familiale. Une vraie ferme de l’époque, avec beaucoup de polyculture et de poly-élevage. Et puis, j’ai connu l’intensification de l’agriculture, le passage à la monoculture. Ça ne m’a pas vraiment plu alors je suis parti m’installer au Québec pendant 8 ans. Je travaillais dans une ferme de haricots secs pour l’alimentation humaine et à côté, dans une ferme laitière. J’ai appris l’extensif et la conservation des sols là-bas. Ça m’a sensibilisé à énormément de techniques. A l’époque, ils avaient 20 ans d’avance en matière d’écologie agricole. Aujourd’hui, je ne sais pas.
Puis, nous sommes partis en Savoie pendant 10 ans. On s’est installés en vaches laitières, en zone Beaufort. Je n’étais pas labellisé bio mais j’aurais pu.
Je suis arrivé en Creuse dans une ferme de maraîchage plein champs labellisé bio et, ici, à Maisonnisses, ce sera encore des vaches laitières avec de la transformation fromagère et label bio. L’objectif est d’avoir une ferme la plus autonome possible. On va viser l’autosuffisance des vaches à 98%. Il ne manquera que le sel et les minéraux (rires).
En réalité, je suis venu ici spécifiquement pour la reprise de cette ferme laitière. C’est important pour moi. Historiquement, au centre de la Creuse, on est dans une zone où il y a peu de production laitière. C’est une ferme qui allait disparaître alors qu’elle est très bien agencée : toutes les parcelles se touchent, ce qui permet du pâturage 8 mois de l’année.
Quel est votre plus beau souvenir ici ?
Des randonnées pédestres et à cheval autour du lac de Vassivière. On attelait des charrettes authentiques des années 1900 avec des chevaux de trait !
L’idée est de générer diverses activités pour permettre à d’autres personnes de venir travailler avec nous, et éventuellement de s’installer et de s’épanouir ici.
À quoi ressemble votre quotidien ?
Mon quotidien, c’est déjà la traite des vaches tous les jours, et puis les démarches administratives assez complexes à finaliser pour la reprise de la ferme et les projets de diversification. Une partie du lait est déjà vendue à une fromagerie et nous souhaitons monter également une fromagerie pour approvisionner la restauration collective. Il y a une attente, une demande pour des produits laitiers locaux dans le département. Ainsi qu’une diversification dans les légumes de plein champs.
L’idée est de générer diverses activités pour permettre à d’autres personnes de venir travailler avec nous, et éventuellement de s’installer et de s’épanouir à Maisonnisses. Mais les activités sur une ferme sont toujours très variées : aujourd’hui, par exemple, c’était de la mécanique ! Les génisses sont en train de vêler, la récolte des carottes arrive la semaine prochaine, on a une prairie à ressemer…
La ferme ressemble à un véritable jardin d’Eden pour moi. On est protégés par les bois, le lit de la Gartempe tout près. Les voisins sont tous en bio, ce qui garantit également une protection contre les épandages et la pollution des sols.
Tous les voisins s’accordent et possèdent un esprit et une volonté commune de protéger notre environnement. Ça fait partie du cadre de vie et rend l’endroit si agréable à vivre. J’aime bien la phrase de Dostoïevski qui dit que « la beauté sauvera le monde ». Je pense que l’esthétique et plus largement de vivre dans un environnement préservé et agréable, incite à la non-violence, dans tous les sens du terme.
Au quotidien, je me déplace principalement à vélo, mais dès que les distances s’allongent, je suis obligé de prendre la voiture. D’autant plus que j’emmène ou ramène souvent du matériel.
On a la chance également de pouvoir faire les « courses » très localement. On produit les légumes, les produits laitiers, de temps en temps la viande. J’ai une voisine qui élève poulets et moutons et ma femme travaille sur les marchés et a donc la possibilité d’acheter ce qui nous manque à ses collègues.
Tous les voisins s’accordent et possèdent un esprit et une volonté commune de protéger notre environnement. Ça fait partie du cadre de vie et rend l’endroit si agréable à vivre.
Qu'aimez-vous dans votre lieu de vie ?
Le calme. La diversité des personnes qui s’y trouvent. Par exemple, la mamie de 90 ans, elle ne sort pas souvent mais quand on la voit, elle a toujours le grand sourire ! Ca fait plaisir et ça redonne espoir aussi. Ca veut dire qu’on vit bien ici ! (rires) Comme je le disais, tout à l’heure, tous les voisins partagent une idée assez semblable de ce qui rend le quotidien agréable.
Qu'aimez-vous dans votre département ou les autres endroits qui vous entourent ?
La Creuse, c’est une histoire d’amour, comme je ne suis pas originaire d’ici. Il y a quelque chose que j’ai découvert quand j’avais 12 ans, c’est un espace de liberté, des paysages préservés, une simplicité, les routes sur lesquelles je marchais ou faisais du cheval dans les années 80 n’ont pas vraiment changé. On peut se plaindre des virages mais pourquoi aller vite ? Il faut profiter de la vue. Alors, bien sûr, les entreprises pourront se plaindre de ceci, de cela, on n’a pas eu véritablement d’industrialisation mais on a le silence. Quand les vacanciers me demandent l’été « vous arrivez à supporter ce silence ? », je leur dis que, moi, je suis venu spécialement pour ça ! D’autant plus en ce moment, on n’a même plus d’avions, alor...
Qu'aimez-vous dans votre région ?
La diversité qu’elle apporte. Vu qu’on est vraiment à l’intérieur des terres, le bord de mer est bien agréable !
Quels sont les endroits, situations, moments où vous vous sentez le mieux dans votre quotidien ?
Quand je vais chercher les vaches dans le pré et qu’il y a un rayon de soleil, comme cet après-midi ! Depuis plusieurs jours, j’allais les chercher sous la pluie. Aujourd’hui, j’ai fait un petit Whatsapp avec ma fille qui est dans le centre-ville de Montréal, pour lui montrer les vaches qui avaient l’air heureux !
À l’inverse, quels sont les endroits, ou situations, où vous ne vous sentez pas bien ?
Ce n’est pas vraiment un endroit mais les administrations auxquelles je suis confronté en ce moment sont vraiment déconnectées. On a des démarches assez complexes à faire et quand on se démène pour aller à Guéret, rencontrer les gens, etc. et qu’on reçoit ensuite un message disant qu’on est injoignable, c’est assez énervant.
Mais, globalement, je suis quelqu’un d’assez positif, qui s’adapte facilement aux contretemps.
Qu'est-ce qu'habiter ici vous permet (de faire, de vivre…) ?
De faire un métier qui me plait dans un environnement agréable. C’est primordial.
Ça me plait aussi de faire découvrir le lieu. J’ai des amis qui habitent en ville et qui ne souhaiteraient jamais venir habiter ici, mais quand ils sont ici, ils sont heureux ! Et la prochaine fois qu’on se voie, c’est généralement eux qui reviennent ! (rires)
C’est vraiment un choix délibéré d'être ici, car il y a de la place pour entreprendre. Et un peu plus d’espace de liberté.
Qu'est-ce qu'habiter ici vous empêche de faire ou de vivre ?
J’ai habité pendant longtemps dans des régions - au Québec et en Savoie - où il y avait deux saisons bien marquées, avec deux rythmes de vie bien marqués. En Creuse, on sent moins cette alternance : ça fait plusieurs hivers qu’il ne neige pas vraiment. On a moins de lumière qu’en montagne, ça influe un peu sur le moral.
Mais on a quand-même plus de lumière en Creuse qu’en Bourgogne ! (rires)
C’est vraiment un choix délibéré d'être ici car il y a de la place pour entreprendre. Et un peu plus d’espace de liberté.
Si vous aviez le pouvoir politique de changer une chose dans la région, quelle serait-elle ?
Vraiment amplifier le soutien à l’agriculture paysanne !
Une autre politique, qui est plus du ressort de l’Europe, serait de faire que la prochaine PAC diminue, voire supprime les aides pour les plus grosses exploitations. L’industrialisation de l’agriculture, c’est la mort de la ruralité.
Et la ruralité, c’est beaucoup de surface en France. Il y a un paradoxe entre la plainte des métropoles, de tous les citadins qui ont des difficultés à vivre et le maintien de politiques qui incitent encore les personnes à aller vivre en ville. Alors qu’il y a de la place et que la qualité de vie est bien meilleure à la campagne !
Comment voyez vous votre région dans 5 ans ? dans 10 ans ?
Un meilleur service de transport ferroviaire, notamment au niveau de l’entretien des voies ferrées.
Également, un service de la Poste préservé et renforcé. C’est une entreprise publique qui a une obligation de service public, qui a le maillage le plus complet sur l’ensemble du territoirefrançais. Et aujourd’hui, il y a certains services que la Poste ne peut pas ou ne peut plus rendre.
Ce n’est pas une anecdote mais, depuis le 1er octobre, on a une obligation de prélever un morceau de cartilage sur les jeunes veaux, pour prévenir le développement d’une maladie : la BVD.
Ce prélèvement est mis au frigo et doit être emmené sous 7 jours chez le vétérinaire. Pour nous, le véto est à Ahun, à 15 km. Si j’ai un veau dans la semaine, il faudra obligatoirement que je fasse l’aller-retour, 30 km... Ca n’a pas de sens. !Pour les éleveurs, qui sont débordés de travail ou qui ont du mal à être rigoureux dans cette démarche-là, ce n’est pas possible. Et on m’a répondu que la Poste, pour une question de réglementation européenne, avait l’interdiction d’organiser ce service. Alors que c’est absurde, le bureau de Poste est à Ahun et qu’un tel service faciliterait l’éradication d’une maladie qui touche les troupeaux.
Selon vous, que faudrait-il préserver ?
C’est une question compliquée. Par exemple, entre la gestion forestière ici et dans les Landes, c’est deux choses très différentes.
Les transports scolaires fonctionnent bien !
Et dans ce demain que vous imaginez, de quoi avez vous besoin pour vous sentir vraiment bien ?
Moi je ne suis pas très exigeant mais je vais penser à ma compagne : du réseau Internet !
Il y a la fibre qui arrive dans quelques mois, mais, même en tant qu’agriculteur, on a beaucoup de déclarations à faire. En zone blanche, avec un réseau qui fonctionne mal, toutes les démarches administratives, même les plus simples, prennent énormément de temps et c’est le travail de la ferme qui passe en premier.